lundi 21 avril 2025

L'intelligence artificielle : l'extension du travail mort, la précarisation du travail vivant

Les évolutions très rapides dans le domaine de l'intelligence artificielle vont très vraisemblablement bouleverser en profondeur les structures mêmes de nos sociétés actuelles.

Bref historique :

Le terme d'intelligence artificielle apparaît durant la conférence de Dartmouth en 1956. Un informaticien américain, John McCarthy, définit l’IA comme "la science et l’ingénierie de la création de machines intelligentes". Il dessine donc l’IA comme un moyen de simuler des processus cognitifs humains. D'autres rejoignent ce concept : Marvin Minsky pour la recherche sur les réseaux neuronaux artificiels, Allen Newell et Herbert Simon qui développent un programme capable de démontrer des théorèmes mathématiques le "Logic Theorist".

Un concept philosophique:

Dans ses travaux, le philosophe Michel Serres présentait les inventions humaines comme une extension de lui-même dans le monde qui l'entoure. Le marteau est une extension du bras et du poing permettant de frapper plus fort, la roue est une extension de nos propres articulations permettant de démultiplier nos capacités de transporter des choses. L'ordinateur est une extension de notre cerveau permettant d'exporter nos facultés cognitives : la mémoire, l'imagination, la raison. Pour lui la cognition est une réaction aux stimuli et à l'information, cela est maintenant une faculté partagée par le vivant (de la plus petite bactérie) aux machines.

Sa vision était assez optimiste puisque bien qu'il concevait que l'homme perdait des éléments à chaque étape de ses inventions (comme par exemple la mémoire post tradition orale), il gagnait en contrepartie de la créativité. Nous serions condamnés à devenir plus intelligents.

Un point de vue marxiste :

Ces extensions du corps de l'humain dans le monde qui l'entoure constituent une illustration du travail mort de Marx. 

Le travail mort est l'ensemble des moyens de production (machines, outils, infrastructures) qui ont été produits par le travail passé et qui sont utilisés dans le processus de production actuel. Le travail mort ne crée pas de nouvelle valeur. Il transfère simplement sa propre valeur au produit final au fur et à mesure de son usure.

Le travail vivant renvoie à l'activité humaine concrète, créatrice de valeur. C'est le travail actuel, celui des travailleurs qui transforment les matières premières en produits finis. Il est source de plus-value, car il ajoute de la valeur aux marchandises. Marx soutient que seul le travail vivant, c'est-à-dire le travail effectué par les travailleurs dans le processus de production, peut créer de la valeur nouvelle. Cela est dû au fait que les travailleurs produisent plus de valeur que ce qui est nécessaire pour reproduire leur propre force de travail (leur salaire). Les machines ne font que transférer leur coût de production au produit fini.

Le professeur canadien Nick Dyer-Witheford a publié un ouvrage ""Inhuman Power : Artificial Intelligence and the Future of Capitalism." Il soutient que l’IA est une forme particulièrement avancée de travail mort, des systèmes logiciels et matériels qui encapsulent l’ingéniosité humaine mais fonctionnent de manière autonome pour augmenter la production capitaliste.


Selon lui le développement de l’IA repose sur d’énormes quantités de travail vivant : programmeurs, annotateurs de données et assembleurs de matériel. Leurs efforts sont appropriés et transformés en travail mort qui ensuite remplace ou discipline d’autres travailleurs. Nous penserons ici aux travailleurs chez Amazon suivant les ordres codés et dont le rythme de travail est dicté par des ordinateurs. C'est une illustration du concept d'aliénation où le travailleur est un simple exécutant de tâches de plus en morcelées. Le travailleur ne décide de rien, il conçoit de moins en moins par lui-même.






L’élan du capital à remplacer le travail vivant par du travail mort comme l’IA intensifie la contradiction identifiée par Marx : bien que cela augmente la productivité, cela sape la source de la plus-value, la force de travail humaine, risquant de déstabiliser le système.


La précarisation des travailleurs : 

Ce dernier concept porte un nom : la baisse tendancielle du taux de profit. 

Au fur et à mesure que le capitalisme se développe, il y a une tendance à l'accumulation du capital. Cela signifie que les capitalistes investissent de plus en plus dans les moyens de production via les machines et les différentes technologies. La composition organique du capital est le rapport entre le capital constant (travail mort) et le capital variable (travail vivant). Une augmentation de ce rapport signifie que proportionnellement plus de capital est investi dans les moyens de production par rapport à la force de travail.

Le taux de profit est défini comme le rapport entre la plus-value et la totalité du capital avancé (capital constant + capital variable). Même si la productivité augmente grâce à l'utilisation accrue de machines, la part relative de la plus-value (qui provient uniquement du travail vivant) diminue, entraînant une baisse du taux de profit.

Cette baisse du taux de profit implique pour les travailleurs plusieurs conséquences : intensification de l'exploitation par une augmentation de la productivité sans augmentation des salaires, réduction des salaires (la survaleur produite en rallongement de temps de travail comme par exemple les trimestres supplémentaires avant la retraite en est un exemple), la dégradation des conditions de travail, l'augmentation du chômage et les licenciements, les innovations et crises économiques.

Ces conséquences pour les travailleurs (augmentation de l'exploitation, réduction des salaires, expansion des marchés, innovation technologique) sont autant de leviers pour les capitalistes qui permettent de corriger ou d'inverser temporairement la baisse du taux de profit.

L'intelligence artificielle comme capital constant :

L’IA suit la logique capitaliste d’augmentation de la composition organique du capital. Les entreprises investissant et utilisant les différentes intelligences artificielles accumulent plus de capital constant et moins de capital variable en salaires.  L'IA, en automatisant des tâches, réduit la quantité de travail vivant nécessaire dans le processus de production. Cela diminue la source de plus-value, car moins de travailleurs sont exploités pour générer du profit.

Le développement et l'implémentation de l'IA nécessitent des investissements massifs en capital constant (recherche, développement, infrastructure technologique). Ces investissements transfèrent simplement leur valeur aux marchandises produites, ce qui ne compense pas la diminution de la plus-value générée par le travail vivant.

Dans le cadre capitaliste l'IA est dans une position de contradiction fondamentale. Elle accentue la baisse tendancielle du taux de profit en augmentant la composition organique du capital et en réduisant la part du travail vivant. Ce faisant elle précipite le système vers son effondrement. 

Cependant, elle prolonge temporairement la survie du système en créant de nouveaux leviers permettant la correction de ses effets : intensification du travail vivant, création de nouveaux marchés, automatisation et délocalisations, financiarisation pour se détacher de la production matérielle, extraction de données gratuites (on pensera à la notion de techno féodalisme selon Cédric Durand ou Yanis Varoufakis ).

Le futur incertain :

Une étude de Goldman Sachs estime que l’IA pourrait perturber 300 millions d’emplois dans le monde d’ici une décennie, principalement dans les économies avancées (États-Unis, Europe). Cela inclut 25 % des tâches actuelles automatisées, notamment dans l’administration (46 %), le droit (44 %) et l’ingénierie (37 %). 

Dans son introduction générale à la critique de l'économie politique, Marx analyse comment la machine incarne la contradiction du capital. Elle augmente la productivité tout en aliénant le travailleur et en créant du chômage. De nos jours c'est bel et bien l’IA qui incarne la contradiction ultime du capital : elle est à la fois son fantasme d’émancipation du travail vivant... et son cauchemar, car sans exploitation de ce même travail, pas de plus-value. Derrière les robots 'autonomes' de Tesla se cachent des mineurs de lithium sous-payés et des ingénieurs surmenés. Le capital veut un prolétariat invisible, mais il ne peut s’en passer.

Le rôle des machines n’est pas de soulager les travailleurs, mais de les remplacer pour maximiser les profits.


Dans cet essai Marx décrit ce qu'il advient de nos jours.

Les travailleurs des entrepôts Amazon sont contrôlés par des systèmes algorithmiques, les chauffeurs Uber sont soumis à des logiciels. le "travail mort" de ChatGPT  repose sur du travail vivant invisible : des modérateurs payés 2$/heure au Kenya.

Les brevets, l’IA (OpenAI, Google DeepMind) et les data sont contrôlés par des firmes privées. Les travailleurs de la "knowledge economy" sont eux-mêmes aliénés ("Job à la con" de Graeber).

Une projection

Les grandes entreprises capables d’investir dans les I.A domineront les marchés, éliminant les plus petits.

La polarisation du travail s’accentuera : une minorité de travailleurs hautement qualifiés  contrôlera les systèmes. Face à cela une masse de travailleurs précarisés effectuera des tâches non automatisables (services, maintenance, "microwork" comme l’annotation de données pour l’IA). De plus, une partie croissante de la population pourrait être "inutile" pour le capital (chômage technologique structurel).

Le modèle dominant deviendra celui du capitalisme de plateforme (Uber, Amazon), où les travailleurs sont des "auto-entrepreneurs" précaires, sans protection sociale. C'est le retour aux "Canuts" et de la paye à la tâche. L’IA permettra un pilotage algorithmique des travailleurs (surveillance, évaluation en temps réel), renforçant l’exploitation.

La baisse tendancielle du taux de profit va s'aggraver. Si l'Etat capitaliste ne peut pas la gérer alors il rentrera dans une phase de barbarie (avec des illustrations dans les fictions existantes comme le film "Elysium"). 


S'il peut la gérer alors il valorisera les activités non marchandes (art, soin, éducation) avec une fibre de relations humaines, il peut également proposer de mettre en place un revenu universel pis aller pour répondre à la population devenue "inutile", ou encore proposer la socialisation de cette nouvelle production.

En résumé nous avons une bifurcation qui se dessine entre un capitalisme dystopique et un post capitalisme émancipateur.




dimanche 16 mars 2025

Le populisme une exacerbation des contradictions du capitalisme

La montée des populismes : la droite.

La question du populisme est prégnante tant à droite qu'à gauche. En avril 2011 Werner T. Bauer analysait déjà la montée des populismes de droite en Europe.

Il en donnait une méthodologie :

"Le populisme se nourrit du « scandale » (qu’il met souvent lui-même en scène) et de la « crise » permanente. Le populiste fournit les scandales ; en contrepartie, les médias lui apportent la célébrité."

Son analyse prédictive s'est révélée juste :

"Il est donc effectivement à craindre que le populisme de droite ne devienne le seul contrepoids aux convulsions productivistes d’une économie mondialisée et déréglementée."

Il rejoint en cela les écrits de Jacques Ellul sur le fascisme fils du libéralisme

"L’économie libérale était obsédée par la question de la production. Il fallait produire au maximum et par là développer ce qu’on appelait l’économie générale, et le libéralisme insistait sur le fait que la meilleure méthode de production était, sans contredit, la méthode de libre concurrence et de libre échange. [...] Les industriels ont cherché du fait de la libre concurrence à fausser l’équilibre à leur profit, mais du fait du laisser faire, ils n’ont pas essayé de le fausser dans l’économie, les portes leur étaient fermées ici. [...] En définitive, et c’est là le point marquant du développement extrême de l’économie libérale : multiplication des emplois et des dépenses improductives. Cette multiplication n’arrivait pas cependant à employer tous les ouvriers libérés. Chômage consécutif. Après l’abandon des techniques récentes, l’abandon des forces humaines de travail. [...] Mais au travers de ce stade d’économie dirigée (stade fatalement amené par le libéralisme comme nous l’avons vu) nous voyons apparaître le fascisme lui-même."

La montée des populismes : la gauche.

Le populisme, qu'il soit de droite ou de gauche, se caractérise par une opposition entre "le peuple" et "les élites". Cependant, ces deux formes de populisme se distinguent par leurs idéologies, leurs cibles et leurs propositions politiques. 

Le populisme de droite cible principalement les immigrants et les élites politiques, tandis que le populisme de gauche s'attaque aux élites économiques et aux structures qui maintiennent les inégalités. Justice sociale et économique, anti-élitisme et solidarité internationale sont les fondamentaux des populistes de gauche, cela diffère diamétralement des fondamentaux des populistes de droite. 

Le parallèle pouvant être fait se porte sur la présentation médiatique de ses objectifs politiques. Nous penserons aux méthodes de communication de La France Insoumise où la création de scandales est organisée parfois au détriment du sujet politique de base : par exemple les réformes destructrices du système de retraite français.

Thomas Portes, le pied sur un ballon sur lequel on distingue le visage du ministre du Travail, Olivier Dussopt.

Sophia Chikirou comparant Fabien Roussel à Jacques Doriot.
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Dans leur livre "Hégémonie et stratégie socialiste" daté de 1985, Ernesto Laclau et Chantal Mouffe rejettent le déterminisme économique marxiste et l'idée que la lutte des classes est l'antagonisme central de la société. À la place, ils proposent une approche centrée sur le "discours" et la contingence des relations sociales.

Laclau fonde sa pensée sur son expérience personnelle ayant vécu et analysé le péronisme argentin. Laclau a analysé comment, durant son exil, Perón a réussi à articuler un discours capable de fédérer diverses demandes sociales et politiques, créant ainsi une identité collective parmi des groupes hétérogènes. Cette capacité à unifier des revendications disparates autour d'un leader charismatique a été centrale dans la conception de Laclau du populisme en tant que stratégie politique.


En 2005, dans le livre "La raison populiste" il décrit le populisme comme une logique politique. Il y théorise les signifiants vides. L'utilisation stratégique des signifiants vides permet aux acteurs politiques de construire des discours hégémoniques, c'est-à-dire des récits dominants qui orientent les perceptions et les actions au sein de la société. En investissant des signifiants vides de significations spécifiques, les forces politiques cherchent à obtenir un soutien maximal pour leur vision du monde. Cette lutte pour le contrôle des signifiants vides est au cœur des dynamiques politiques et des processus de légitimation du pouvoir. 

Ce sont des termes ou symboles comme "égalité" ou "nation" suffisamment vagues pour fédérer des groupes divers autour d’une cause commune. Par exemple, un leader populiste peut incarner ce signifiant, cristallisant les espoirs et frustrations d’une population.

"JE SUIS LE BRUIT ET LA FUREUR, LE TUMULTE ET LE FRACAS"


Dans son essai "Les Institutions invisibles", Pierre Rosanvalon analyse la crise de défiance et l'érosion du lien social qui fragilisent les démocraties contemporaines, préparant le terrain aux populismes autoritaires et xénophobes. Cette érosion du lien social et la défiance généralisée envers les institutions formelles sont le signe d'une fragilisation de la légitimité politique. Cette situation, illustrée par des exemples comme la République de Weimar s'effondrant face au nazisme, prépare selon lui le terrain aux "mirages populistes" et à un "fatalisme résigné". La démocratie, bien que dotée d’institutions qui fonctionnent, devient politiquement impuissante si elle perd ces fondations invisibles.

Le philosophe Michaël Fœssel et le sociologue Etienne Ollion établissent eux aussi une critique du populisme. Dans leur ouvrage "Une étrange victoire. L'extrême droite contre la politique", ils analysent l'influence du langage de l'extrême droite dans le débat public et mettent en garde contre le risque pour la gauche de se laisser entraîner dans des dérives populistes


C'est une analyse également partagée par Bruno Karsenti.


Une analyse de la montée des populismes


Un décalage se créée entre l’évolution des technologies et l’inadaptation des rapports de production. L’automatisation, la mondialisation et la numérisation transforme profondément l’appareil productif, mais les rapports de production que sont la propriété privée des moyens de production et l’organisation du travail restent souvent figés dans un schéma de domination capitaliste.

Ce décalage entraîne non seulement une baisse tendancielle du taux de profit mais également une précarisation des travailleurs. L'intelligence artificielle et la robotique augmentent la composition organique du capital par le rapport entre capital constant et le capital variable. Cette évolution réduit la part du travail humain dans le processus de production, et affecte le taux de profit. 

En 2024, la Bourse américaine, notamment l’indice S&P 500, a enregistré des gains de plus de 28 %. Le Nasdaq a affiché une hausse similaire, autour de 30 %. Ces performances ont perduré malgré une croissance aux États-Unis estimée à environ 2 % en 2024.

Les secteurs de la construction, le commerce et l'automobile ont annoncé des plans sociaux, souvent liés à l'automatisation et à l'adoption de nouvelles technologies.  Les groupes Vinci et Bouygues investissent dans l’automatisation, mais les petites entreprises, qui dominent le secteur, n’ont pas les moyens de suivre, d’où des fermetures et des licenciements. 

L’automatisation des caisses, la robotisation des entrepôts, l’arrivée de l’IA pour la gestion des stocks remplacent progressivement les emplois traditionnels. Le commerce en ligne des plateformes comme Amazon ou Temu, concurrence les magasins physiques, rendant certains postes obsolètes. En novembre 2024, Michelin a annoncé un plan social visant 1 250 emplois en France, lié à une baisse des ventes de pneus pour véhicules thermiques et à une transition vers l’électrique. La nouvelle dynamique de production aboutit à une suraccumulation de capital et à la précarisation du travail, le fossé entre la majorité laborieuse et une minorité capitaliste s’élargit. Ce fossé se traduit par une colère collective que certains leaders populistes exploitent pour canaliser le mécontentement, en promettant une réappropriation du pouvoir et une rupture avec l’ordre établi.

La mondialisation et la délocalisation redistribuent la production à l’échelle mondiale et concentrent le pouvoir économique dans certains centres. Ceci créée un sentiment d’exclusion et d’aliénation. Marx analysait l'aliénation des travailleurs comme une conséquence de leur dépossession des moyens de production. Aujourd'hui, cette aliénation se manifeste par un sentiment d'impuissance face à la globalisation et à la technocratie, ce qui pousse certains à se tourner vers des discours populistes qui promettent de "rendre le pouvoir au peuple".

Ces discours populistes aboutissent au fractionnement de la classe ouvrière, divisée entre ceux qui bénéficient encore des restes de l'État-providence et ceux qui sont exclus du système. Cette division affaiblit la solidarité de classe et rend plus difficile l'émergence d'un mouvement anticapitaliste unifié.

La montée des populismes est une conséquence des contradictions et des crises générées par le capitalisme globalisé. 

Illustrations croisées : le cas Trump et Milei

Trump :

Les États-Unis ont subi une désindustrialisation massive depuis les années 1970, avec des usines fermées et des emplois délocalisés vers des pays à bas coûts de main-d'œuvre. Cela a particulièrement touché les régions industrielles du Midwest, autrefois prospères.

La financiarisation de l'économie américaine a accru les inégalités, avec une concentration des richesses entre les mains d'une petite élite, tandis que les classes ouvrières et moyennes ont vu leurs conditions de vie se dégrader.  Selon le Pew Research Center la part des richesses détenue par les ménages à hauts revenus (top 20 %) est passée de 29 % en 1970 à 48 % en 2018, tandis que celle des classes moyennes a chuté de 62 % à 43 %. Selon Yahoo Finance 81 % des actions du S&P 500 sont détenues par les 10 % les plus riches.

Les institutions politiques et médiatiques sont perçues comme étant au service des élites économiques, ce qui a alimenté un sentiment de trahison et de colère chez une partie de la population. Toujours selon le Pew Research Center, la confiance des Américains dans le gouvernement fédéral est tombée à 17 % en 2024, proche de son plus bas historique (15 % en 2011). Une enquête spécifique révèle que 74 % des Américains pensent que "les politiciens travaillent pour les intérêts des grandes entreprises et des riches" plutôt que pour le peuple.



Une étude Gallup/Knight Foundation montre que 55 % des Américains jugent les médias "biaisés" en 1999, contre 32 % en 2016. 


Donald Trump a su exploiter et canaliser cette colère en se présentant comme le défenseur des "oubliés" de la globalisation, promettant de "rendre sa grandeur à l'Amérique". Son discours anti-élites, anti-médias et anti-globalisation a résonné auprès des travailleurs précarisés. Cette canalisation s'est exprimée par la désignation de boucs émissaires : les immigrés, les élites "cosmopolites", et les accords commerciaux type ALENA.  Dans son premier mandat, Trump a poursuivi des politiques économiques néolibérales, comme la réduction des impôts pour les entreprises et les riches, tout en dérégulant davantage l'économie. 

La manipulation : Le vote de la catégorie ouvrière des électeurs de Trump, a permis la mise en place d'un programme qui ne répondait pas à leurs intérêts économiques réels. 

La Tax Cuts and Jobs Act de 2017 a permis des augmentations salariales. Cependant elles ont principalement profité aux hauts revenus, aux propriétaires et aux cadres, laissant les 90 % inférieurs des travailleurs inchangés. Les salaires médians ont augmenté de seulement 0,09 % de plus dans les deux ans suivant la réforme.

Trump a imposé des droits de douane sur des produits chinois (25 % sur 250 milliards de dollars d’importations), visant à protéger les emplois industriels américains. Les ouvriers industriels n’ont pas vu de retour massif d’emplois, tandis que les coûts des biens de consommation (électroménagers, vêtements) ont augmenté pour tous. Selon le Bureau of Labor Statistics, les emplois manufacturiers aux États-Unis sont passés de 12,4 millions en janvier 2017 (début du mandat de Trump) à 12,8 millions en février 2020 (avant la pandémie), soit une augmentation de seulement 400 000 emplois en trois ans.


Cela illustre le concept de "fausse conscience", où les travailleurs soutiennent des politiques qui renforcent leur propre exploitation.

Milei : 

L'Argentine était confrontée à une inflation galopante, à une dette publique insoutenable et à un chômage élevé. Ces problèmes sont en partie liés à la dépendance du pays aux capitaux étrangers et aux politiques d'ajustement structurel imposées par le FMI. Les crises économiques répétées ont appauvri une grande partie de la population, créant un terreau fertile pour les discours populistes. Les partis traditionnels péronistes et libéraux étaient perçus comme corrompus et incapables de résoudre les problèmes du pays.

Selon les données de la Banque mondiale et de l'INDEC, les inégalités de revenus se sont creusées au cours des dernières décennies. Les 10 % les plus riches de la population concentrent une part disproportionnée des richesses, tandis que les 40 % les plus pauvres voient leur situation se dégrader.


En Argentine, comme dans de nombreux autres pays, les médias sont largement contrôlés par un petit nombre de groupes puissants. Depuis les années 1990, sous les présidences de Carlos Menem et Fernando de la Rúa, les politiques de dérégulation ont favorisé la consolidation de grands groupes. 



Le groupe Clarín, possède des journaux (Clarín, le plus vendu), des chaînes de télévision (El Trece, TN), des radios (Mitre), et contrôle Cablevisión, un leader des télécoms. 

Une étude de l'Open Edition Journals note que 78 % du marché des médias était concentré entre les quatre premiers opérateurs en 2009 (Clarín, Uno, Vila-Manzano, Cadena 3). Paradoxalement la politique de dérégulation prônée par Milei via la Ley Omnibus a permis le renfort de ces grands groupes. En 2024, Clarín a renforcé sa position dans les télécoms via Cablevisión, profitant de la libéralisation des services internet et de la fin des régulations strictes sur les fusions. Ce qui conduit Milei a vouloir contrecarrer les effets de sa propre politique.

Cette concentration limite la diversité des opinions et renforce la perception que les médias servent les intérêts des élites. Le cabinet de conseil Zubán Córdoba y Asociados nous apprend que 80,5 % ont déclaré avoir une "méfiance" envers les médias, seulement 14,2 % ont déclaré avoir encore "confiance".

La manipulation médiatique: Les inégalités économiques et la défiance envers les médias se renforcent mutuellement. Cette défiance a ouvert la voie à des figures populistes comme Javier Milei, qui utilisent les réseaux sociaux et les médias alternatifs pour diffuser leur message. Milei, par exemple, a construit sa base électorale en critiquant violemment les médias traditionnels et en se présentant comme une voix alternative.


Javier Milei incarne un populisme libertarien qui prône une réduction drastique de l'État, une dérégulation massive de l'économie et une libéralisation totale des marchés. L
es travailleurs ont voté Milei en masse (40 % des 18-34 ans, selon Exit Polls 2023), séduits par son rejet de la "caste" et ses promesses de prospérité via le marché libre.

La DNU a conduit a la suppression des indemnités de licenciement, l'allongement de la période d’essai, la réduction des cotisations sociales.

Selon l’INDEC au 4e trimestre 2024, le chômage est resté stable à 7 %, mais le travail informel a grimpé à 47 % de la population active, et les salaires réels ont chuté de 20 % face à une inflation de 289 % en 2024. Les attentes d’emplois stables et bien rémunérés sont trahies au profit des profits patronaux.


Les hausses des tarifs ont amputé le pouvoir d’achat des couches populaires: en un an, le niveau général des prix a augmenté de 67 %, tandis que les services ont augmenté de 174 % et l’éducation de 150 %.  La plus forte augmentation concerne la facture de gaz, en hausse de 573 % par rapport à février 2024, et la facture d'eau, en hausse de 311 %. 

Les profits des entreprises privatisées comme Edenor explosent. Les attentes d’un meilleur niveau de vie sont sacrifiées pour les intérêts des capitalistes.

Selon l'analyse d'Ellul : Le Trumpisme est un enfant du néolibéralisme américain ayant conduit à la paupérisation des travailleurs des Etats Unis d'Amérique.

Milei est un enfant des contradictions du péronisme qui via la présidence de Carlos Menem (1989-1999), a adopté des politiques néolibérales (privatisations, dérégulation, ouverture aux capitaux étrangers), s'éloignant de ses principes originels de justice sociale.

Le deux ont pu canaliser les colères et prospérer sur les conséquences de politiques abaissant le niveau de vie des travailleurs tout en mettant eux-mêmes en place des politiques qui continuent cet abaissement.


Entre le continent Américain et l'Europe : 

L'analyse de Laclau sur le continent Sud Américain se calque sur une tradition caudilliste, une histoire coloniale favorisant une rhétorique anti-impérialiste et une moindre intégration supranationale. 

Les partis de gauche populistes européens n'ont pas rencontré de victoires majeures ou dans la durée. 

L’UE impose des cadres économiques rigides (règles budgétaires, Pacte de stabilité) qui limitent les marges de manœuvre des populistes de gauche. Syriza, par exemple, a dû céder à la Troïka en 2015 sous peine de Grexit, trahissant ses promesses radicales. 

Les systèmes parlementaires en Espagne ou au Portugal obligent souvent les partis populistes de gauche à s’allier avec des sociaux-démocrates modérés (PSOE, PS), diluant leur radicalité. Podemos n’a jamais gouverné seul.

Contrairement aux populismes de droite (RN, Fidesz), qui s’appuient sur des structures centralisées et un nationalisme unificateur, les partis populistes de gauche souffrent de divisions idéologiques (anarchistes vs socialistes, écologistes vs ouvriéristes). Podemos s’est fracturé après 2019 entre Iglesias et Díaz.

Le populisme de droite comme l'AfD en Allemagne capte mieux la colère anti-élite en Europe en jouant sur l’immigration et le souverainisme, thèmes plus mobilisateurs que l’anticapitalisme de gauche dans le contexte actuel.  Le BSW de Sahra Wagenknecht a obtenu 5 % aux dernières élections.

Le modèle de BSW se calquait sur celui de La France Insoumise



L'affaiblissement des communistes européens post effondrement de l'URSS a laissé un vide à gauche, mais il n'a pas été comblé par un populisme de gauche fort. Le populisme de gauche a remporté des victoires en Europe, mais elles ne sont ni importantes ni durables. La capitulation de Syriza face à l’austérité illustre les limites et renvoie aux mesures libérales prises en Argentine dans les années 90. 

Le populisme de droite, est mieux adapté aux angoisses identitaires actuelles, il domine davantage, sait créer un tempo et un agenda médiatique forçant le reste de la droite à suivre ce terrain. C'est une des théories politiques formulées par François Duprat.



Les classes populaires sont souvent divisées entre les travailleurs urbains, les travailleurs ruraux, les jeunes précaires et les retraités. Cette fragmentation rend difficile la construction d'une coalition électorale large autour d'un projet populiste de gauche. Pire cette fragmentation est parfois encouragée par les populistes de gauche, elle renforce alors la théorisation des populistes de droite notamment sous le vocable des "bobos déconnectés."

Le populisme de gauche, lorsqu'il fragmente trop son discours en multipliant les revendications spécifiques, peut involontairement renforcer le narratif du populisme de droite.

En fragmentant les électorats cette gauche participe à la destruction de la conscience de classe unifiée.  La gauche peine à mobiliser un large front populaire contre les inégalités économiques et le pouvoir du capital. Nous nous heurtons à un plafond de verre depuis plusieurs années. 

Comment faire ?

En recentrant le discours sur les antagonismes fondamentaux entre travailleurs et détenteurs du capital, plutôt que sur des oppositions culturelles et sociétales qui divisent plus qu'elles ne rassemblent. 

En adoptant une approche matérialiste et universaliste, la gauche pourra réaffirmer son rôle historique : être la force politique de l'émancipation collective et de la justice sociale.

Dans le cadre capitaliste européen le populisme vainqueur est celui de droite. En appliquant la méthode populiste certains partis de gauche ont involontairement validé des antagonismes qui ne sont pas de classe et donc ont contribué à l'effacement de cette conscience.

Nous devons arrêter cela.

dimanche 2 mars 2025

Le communisme : en revenir ou pas

 Au cour d'une discussion j'ai reçu ce message. C'est un classique que nous recevons souvent.




1) Concernant le déclin politique

Remontons le temps : 

L'Union des Républiques Socialistes Soviétiques est dissoute le 26 décembre 1991. Les accords de Minsk du 8 décembre 1991 (signés par l'Ukraine, la Biélorussie, la Russie) entérinent la fin de L'Union.

Du 19 au 21 août 1991, un pustch est lancé à Moscou. L'objectif était de lutter contre la pérestroïka qui contrevenait directement à la politique communiste établie depuis plus de 60 ans. 

Le 17 mars 1991, un référendum demandait aux pays membres de l'Union s'ils souhaitaient "préserver l'Union des Républiques socialistes soviétiques en tant que fédération renouvelée de républiques souveraines et égales, dans laquelle les droits et les libertés de toute nationalité seraient pleinement garantis".

Sur les 15 Républiques six n'ont pas pris part au vote : l’Arménie, la Géorgie, la Moldavie et les républiques baltes. Toutes les autres ont participé au vote et ont soutenu massivement ce référendum.




Lors des débats sur internet il est souvent souligné que ce référendum visait à valider le fait que l'URSS pour se sauver devait quitter son ancienne organisation socialiste. 

La manière dont est formulé le référendum est vague et a permis des interprétations différentes selon les camps politiques qui se dessinaient : conservateurs, réformateurs, indépendantistes. Les réformateurs voyaient un plébiscite pour le maintien de la glasnost et de la pérestroïka, les conservateurs voyaient un soutien de la population aux idéaux communistes, les indépendantistes refusaient ce référendum puisque les pays Baltes avaient déjà proclamé leur indépendance entre mars et mai 1990.

Mickael Gorbatchev était à l'initiative et un fervent défenseur de ce référendum. Sa politique de la pérestroïka était mise en place depuis 1985. On s'aperçoit que les pays centraux de l'Union (Russie, Ukraine, Biélorussie) ont manifesté un non plus prononcé que les autres pays.

Le même 17 mars 1991, un référendum constitutionnel supplémentaire était donné en Russie et dont la question était "Considérez vous nécessaire l'introduction du poste de président de la RSFSR, élu au suffrage universel ?". Ceci dans le cadre des dissensions entre Gorbatchev et Eltsine sur la gestion politique, le second reprochant au premier de ne pas être assez radical dans son projet de transformation. La population vote pour avec un soutien moins majoritaire que celui voulant préserver l'URSS.



Le 23 février 1991, un rassemblement en défense des forces armées de l'URSS et en soutien à l'intégrité de l'URSS a eu lieu sur la place Manezhnaya à Moscou. Selon les données de la police, environ 250 000 personnes ont participé au rassemblement. Selon d'autres données, le nombre de participants est de 600 000 à 800 000 personnes. L'événement a été organisé par les groupes parlementaires « Soyouz » et « Moscou ». 







Le lendemain, le 24 février 1991, un rassemblement massif des partisans de Boris Eltsine a eu lieu sur la place Manezhnaya. Le nombre de participants à ce rassemblement, selon diverses sources, variait entre 200 000 et 400 000 personnes. La manifestation a été organisée par le mouvement Russie démocratique.



2) Concernant l'économie

Une étude des données analysées par Georges Sokoloff nous permet d'éditer le tableau suivant.

Nous pourrons de prime abord remarquer que la plus forte croissance correspond à la période Stalinienne. Son successeur et contempteur Nikita Krouchtchev accuse une baisse de 8% du taux de croissance, la seconde plus forte baisse correspond à la période de Mikhaïl Gorbatchev avec une chute de 13%. 

C'est en 1985 que Gorbatchev a mis en place les réformes économiques de la pérestroïka. Ces réformes contrevenaient directement à la politique communiste de planification centralisée.

3) Les conséquences de la Glasnost et de la Pérestroïka

"Ils en sont revenus" : Les communistes c'est comme les oignons, ils ne reviennent pas tout simplement parce qu'ils ne sont jamais partis. Commençons par les pays qui se sont séparés de l'URSS avant sa fin officielle.

Préalable : La Loi sur la procédure de sécession de l'URSS a été validée par le soviet suprême de l'URSS le 3 avril 1990.

Analyse des pays Baltes :

Lituanie : 

Entre 1990 et 1992 le parti Sąjūdis est au pouvoir et soutient la privatisation des entreprises d'État, la libéralisation des prix et la transition vers une économie de marché. 

Les élections législatives d'octobre 1992 voient une chute de ce parti qui perd 61 sièges. Le parti démocratique du travail (ancien parti communiste) fait une percée et obtient 73 sièges.

Le programme du parti démocratique du travail visait à protéger les travailleurs et les groupes vulnérables pendant la transition économique. Il proposait de maintenir un système de sécurité sociale fort, avec des allocations chômage, des pensions de retraite et des soins de santé accessibles à tous.

L'élection présidentielle de 1993 confirme cette percée avec l'élection d'Algirdas Brazauskas. Ce parti fut dissous en 2001 suite à un déclin électoral et des scandales de corruption.

Estonie :

Le parti communiste fut interdit en Estonie tout comme en Lituanie. Cependant l'Estonie n'a
pas permis la création d'un parti de gauche descendant direct du parti communiste.

Lors de la fin de l’URSS en 1991, environ 30 % de la population de l’Estonie était russophone, majoritairement des immigrants ou descendants d’immigrants installés pendant les périodes soviétiques (1940-1941, puis 1944-1991).

La loi sur la citoyenneté de 1992 était basée sur le principe de la continuité juridique, selon lequel seuls les citoyens estoniens d'avant 1940 et leurs descendants étaient automatiquement considérés comme citoyens estoniens. Ce qui doit expliquer une participation plus faible à ces élections.

La politique de Mart Laar consistait en une privatisation massive s'appuyant sur les idées de Friedman. Les salaires ont chuté de 45 % en 1992, et l’inflation, bien que maîtrisée après la réforme monétaire, est restée élevée.

Selon son propre aveu "La confiance que les citoyens accordent à leurs dirigeants et le niveau de souffrance qu'ils sont prêts à endurer ont des limites. Le gouvernement a déclaré qu'il ne pouvait aider que ceux qui étaient prêts à faire quelque chose par eux-mêmes. Ce principe s'est avéré impopulaire, mais il a contribué à changer les mentalités."

Une élection présidentielle se tenait à la même période que l'élection législative. On remarque qu'Arnold Rüütel a obtenu le vote populaire majoritaire mais n'a tout de même pas été élu car le quorum de 50 % n'était pas atteint. 

Il a connu la même mésaventure en 1996 et fut finalement élu en 2001.

Lennart Meri, son rival, mettait l’accent sur une vision pro-occidentale et intellectuelle, tandis que Rüütel semblait plus ancré dans une continuité sociale et nationale.

Il a d'ailleurs fondé le Parti populaire conservateur estonien (Eestimaa Rahvaliit), qui combinait des valeurs conservatrices rurales avec une sensibilité sociale, plaidant pour une transition économique moins brutale et un filet de sécurité pour les groupes vulnérables (retraités, agriculteurs).

Lettonie

Les premières élections ouvertes ont eu lieu le 18 mars 1990. Le Front populaire letton a recueilli 131 députés, et le LKP (communistes) 57 députés.

Les affrontements de janvier 1991 ont conduit à la mort de 14 civils. La population lettone en a tenu Michael Gorbatchev pour responsable.

Le LKP a été déclaré anticonstitutionnel le 23 août 1991 et dissous le 10 septembre 1991. 

En 1993, les élection parlementaires furent suivies à près de 89%. Le premier parti élu fut un parti libéral avec 32 %, les deux autres partis élus furent des partis de gauche / centre-gauche  favorables à un État jouant un rôle protecteur pour éviter les excès d’une transition brutale au capitalisme.

Les premières années post-1991 ont vu l’effondrement des garanties sociales de l'URSS en raison de la crise économique (inflation de 950 % en 1992, chute du PIB de 34 % entre 1990 et 1992). 

La Constitution de 1922, garantissait dans son article 112 le droit à l’éducation, et les premières lois éducatives post-indépendance ont visé à préserver un accès universel à l’école publique. 

Cependant, la réduction des financements publics a conduit à des protestations dès 1992, notamment de la part d’enseignants et de parents, qui exigeaient que l’État continue de jouer un rôle actif.

La mise en place de politiques libérales a été sanctionnée par la population dès les élections suivantes où le parti de "La voie lettone" s'est effondré.


Géorgie :

Lors des premières élections ouvertes en 1990 le parti/coalition Table Ronde est arrivé premier. Le parti communiste est arrivé second. Les deux partis promettaient une indépendance vis à vis de l'URSS.

Durant une conférence de mars 1990, Zviad Gamsakhourdia s'opposait à l'idée d'une rupture directe et du retrait immédiat de l'armée soviétique. il préférait suivre la voie dite "lituanienne" consistant à remporter d'abord les élections puis se proclamer indépendant. Il fut suivi par plusieurs partis et forma la coalition "Table Ronde".

En novembre 1990, lors de la première session du Conseil suprême de la République de Géorgie, Zviad Gamsakhourdia a été élu à l'unanimité président du Conseil suprême.

L'élection présidentielle de mai 1991, Zviad Gamsakhourdia est confirmé au poste de président avec 87 % de suffrages exprimés.

Sur cette période de 1989 à 1991, la Géorgie qui proclamait son indépendance vis à vis de l'URSS la refusait à l'Ossétie du Sud. En novembre 1989, l'Ossétie demande à passer au statut de république autonome. C'est un refus de la Géorgie qui assiège Tskhinvali fin novembre 89.

En mai 1991 l'Ossétie du Sud annonce sa volonté de se séparer de la Géorgie et son souhait de fusionner avec l'Ossétie du Nord. La déclaration d'indépendance de l'Ossétie du Sud est faite fin décembre 1991.

Suite au putsch de Moscou d'août 1991, Gamsakhourdia accuse conjointement les Etats-Unis et la Russie de conspirer contre la Géorgie. Plusieurs de ses ministres démissionnent l'accusant de démagogie et totalitarisme. Gamsakhourdia interdit le Parti communiste fin août 1991 et fait révoquer le mandants des 64 députés communistes restants. En septembre, environ 200 journalistes se sont mis en grève pour protester contre la censure. À l’hiver 1991, il ne restait plus qu’une poignée de journaux indépendants. Les Etats Unis exprimaient leur inquiétude concernant les droits de l'Homme. 

L'opposition fait un coup d'état en décembre 91 ce qui conduit Gamsakhourdia à partir en exil jusqu'en 1993. Il est mort (a été tué ? suicide ?) en octobre 1993.

Arménie :

Le 23 août 1990 l'Arménie déclare son indépendance. Le 20 mai 1990 les élections au soviet Suprême portent les communistes en tête. 

La première élection présidentielle a eu lieu en octobre 1991. Levon Ter-Petrossian a remporté l'élection avec 83 % des voix pour 74 % de participation.

En décembre 90, Gorbatchev proposait d'organiser le référendum sur le maintien de l'URSS sur une base renouvelée.

Levon Ter-Petrossian refusa cette proposition a préféra organiser le référendum suivant en septembre 1991 (soit après l'échec du putsch de Moscou) " Êtes-vous d’accord pour que la République d’Arménie soit un État démocratique indépendant en dehors de l’URSS ?".

Avec une participation de 95 % la population valida le terme de ce référendum à plus de 99 %. 

Le 10 décembre 1991 a eu lieu un référendum "Êtes-vous d'accord pour que la République proclamée du Haut-Karabakh soit un État indépendant, qu'elle décide de manière indépendante de ses formes de coopération avec d'autres États et communautés ?". La population a validé à plus de 99 % cette proposition avec 82 % de participation.

Il faut faire une analyse du contexte historique entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan. Le Haut-Karabagh , région à majorité arménienne, était partie de la République socialiste soviétique d'Azerbaïdjan sous l'URSS. Dès 1988, des revendications d'autonomie puis d'indépendance émergent chez les Arméniens du Karabagh, qui ont demandé leur rattachement à l'Arménie. L' Azerbaïdjan refuse catégoriquement, ce qui entraîne des émeutes interethniques (pogroms de Soumgaït en 1988, Bakou en 1990).

Le 10 décembre 1991 , le Haut-Karabagh organise le référendum d'indépendance, boycotté par la population azérie. La guerre éclate à grande échelle en 1992 avec le bombardement de Stepanakert. Mai 1992, les Arméniens prennent Chouchi et ouvrent le couloir de Latchin. En 1993, les Arméniens s'emparent de sept districts azerbaïdjanais autour du Karabagh , provoquant l'exode de centaines de milliers d'Azéris. Une estimation de 485 morts civils est donnée pour les victimes azéries. Selon Helsinki Watch, des forces militaires azéries et russes étaient mêlées à la population lorsque les troupes arméniennes ont fait feu. 

La débâcle militaire de l'Azerbaïdjan dans la guerre du Haut-Karabagh conduit au coup d'état de 1993. Heydar Aliyev a été installé au pouvoir, puis confirmé par des élections controversées.

De l'influence néfaste de la politique de Gorbatchev : La Glasnost, en permettant la liberté d'expression et la critique ouverte, a révélé et exacerbé les tensions interethniques en URSS. En donnant une voix aux revendications nationalistes, elle a joué un rôle clé dans l'explosion des conflits interethniques à la fin des années 1980. 

Ces conflits ont non seulement contribué à l'effondrement de l'URSS, mais ont aussi laissé un héritage durable de tensions dans plusieurs régions de l'ex-Union soviétique.

L'incapacité du pouvoir soviétique à réformer l'État sans perdre son autorité et la perestroïka mal gérée ont conduit à la crise économique puis à la désintégration de l'Union des Républiques que pourtant la population appréciait.

4) L'évolution de l'appréciation des populations concernant le communisme

Russie : Au moment de l'effondrement de l'URSS, les premières élections législatives ont porté les libéraux au pouvoir. La Russie a connu une transition économique brutale vers le capitalisme, marquée par une hyperinflation, une chute du niveau de vie et une montée des inégalités. Le KPRF a été fondé en 1993 en tant que successeur du PCUS. Dirigé par Guennadi Ziouganov, il a rapidement émergé comme la principale force d'opposition au pouvoir libéral de Boris Eltsine.




Dès son accession au pouvoir en 1999, Vladimir Poutine a mis en place plusieurs stratégies pour réduire l'influence des communistes et empêcher leur retour au pouvoir. En récupérant les thèmes de grandeur nationale, d'opposition à l'Occident, du rejet des années 1990 et en se positionnant en héritier de l'URSS il a pu vider le KPRF de sa substance. 

Via des lois restrictives, les manifestations organisées par le KPRF ont souvent été interdites ou dispersées par la force, réduisant la capacité du parti à mobiliser son électorat. Des bureaux du KPRF ont été vandalisés ou fermés sous des prétextes administratifs.

Poutine a encouragé la création de faux partis d'opposition contrôlés, comme le Parti communiste de Russie (distinct du KPRF) ou le Parti des retraités , pour diviser l'électorat communiste.

La vision des Russes :

Plusieurs sondages depuis la fin de l'URSS ont été publiés pour voir l'appréciation de la population russe sur les anciens dirigeants et les différents évènements qui ont eu lieu.

En 2017, l'institut de sondage Levada a comparé l'appréciation des différents dirigeants russes dans son histoire. Les mieux perçus sont Lénine et Staline, les plus honnis sont Gorbatchev et Eltsine. Poutine est vu avec respect.




Un autre sondage, cette fois ci récurrent est posé en Russie sur l'effondrement de l'URSS. Que ce soit en mars 1992 ou en 2019 le résultat est similaire : 66 % de la population russe regrette l'effondrement de l'Union soviétique. Une version 2017 de ce sondage nous apprend que ce regret augmente dans les couches les plus âgées de la population. 


Le système économique reste l'une des raisons majeur du regret de l'URSS.



Ukraine : Comme en Russie, la transition économique a été difficile, avec une corruption endémique et des inégalités croissantes.


Dans les années 1990, le KPU bénéficiait d'un fort soutien parmi les personnes âgées, les travailleurs industriels et les habitants des régions orientales et méridionales de l'Ukraine, qui regrettaient la stabilité de l'ère soviétique. Traditionnellement, le KPU était soutenu par l'électorat nostalgique de l'URSS et russophone, notamment dans le Donbass et la Crimée.

Le parti des régions et le Bloc ont concurrencé le KPU par une proposition politique pro russe. 


Au début des années 2000, une nouvelle génération d'électeurs, moins attachée à l'héritage soviétique, a commencé à émerger. Ces électeurs étaient plus ouverts aux idées réformatrices et pro-européennes. La révolution orange de 2004 a marqué la polarisation d'un conflit entre deux fractions de la bourgeoisie ukrainienne, soutenues par des intérêts impérialistes rivaux (Iouchtchenko /Ianoukovitch).  La lutte entre ces factions ne concernait pas l'émancipation des travailleurs, mais le choix d'une dépendance soit envers l'Occident, soit envers la Russie. Le prolétariat n'a pas dirigé le mouvement , et aucune revendication socialiste ou de remise en cause du capitalisme n'a émergé. Le KPU ne s'est pas présenté à l'élection présidentielle de 2004, car il considérait que l'élection serait dominée par un affrontement entre les factions pro-européennes et pro-russes , et qu'il serait plus stratégique de soutenir Viktor Ianoukovitch plutôt que de participer directement à la compétition. 

La politique de décommunisation menée par les autorités ukrainiennes après la crise de l'Euromaïdan de 2014, visant à interdire la propagande et les symboles communistes et nazis. Les lois correspondantes ont été adoptées par la Rada le 9 avril 2015 et promulguées le 15 mai 2015.

La persécution contre les vétérans a continué en 2016, le journal des travailleurs est interdit en 2019. 

Plusieurs centres de sondages se sont penchés sur l'analyse des populations concernant l'URSS. En 2016 Spoutnik affirmait que parmi le 35-64 ans 60 % des Ukrainiens estimaient que la qualité de vie était meilleure en Union soviétique. En 2015, Pew Research Center affirmait que pour 37 % des Ukrainiens la fin de l'URSS était une mauvaise chose.  En 2005, Levada affirmait que 50 % des Ukrainiens regrettaient l'URSS. En 2021, un sondage effectué hors des régions de la crimée et du Donbass montrait que un tiers des ukrainiens regrettaient l'URSS.

Comme pour le sondage Levada en Russie, les plus âgées répondent positivement ainsi que les couches sociales les plus pauvres. 




La population a pu analyser la baisse de qualité de vie depuis la désintégration de l'Union Soviétique. 


5) Conclusion :


Pour Marx, l’effondrement d’un système ne signifie pas la fin de l’Histoire, mais une étape dans la dialectique : les conditions matérielles n’étaient pas pleinement réunies pour une société communiste mature, et cet échec refléterait une transition inachevée vers une société sans classes. Comme nous l'avons vu, la restauration capitaliste, a été orchestrée par les forces bourgeoises internes (oligarques et politiques) et externes (Etats Unis). Dans Le Manifeste communiste, Marx insiste sur le fait que les reculs sont inévitables dans la lutte des classes, mais que le mouvement prolétarien finit par progresser. 

Nous avons vu que l'histoire n'a pas balayé le communisme et que bien souvent les populations l'ayant vécu dans leur vie de tous les jours ne l'a pas rejeté, au contraire. 

C'est donc une étape dans le processus dialectique: la Chine actuelle montre une réussite tactique face à l'impérialisme, tout comme le parti communiste Vitenamien, Laotien ou Keralais qui nécessitent de développer leurs forces productives pour résister face à l'impérialisme capitaliste. Cuba se distingue par sa fidélité idéologique et sa résistance à l’impérialisme, il le paie avec un fort isolement.

Cette résilience face au capitalisme mondial montre l'adaptabilité dialectique du communisme. Il n'a pas été rejeté par les populations, il est passé par une nouvelle phase dialectique.