dimanche 22 juin 2025

La baisse tendancielle du taux de profit : moteur des contradictions du capitalisme et de l’exploitation migratoire

Dans le cadre du capitalisme, la baisse tendancielle du taux de profit  agit comme un moteur puissant de l’exploitation, notamment à travers le recours à une main-d’œuvre migrante. 

Ce phénomène, théorisé par Marx, repose sur une contradiction fondamentale du mode de production capitaliste : l’augmentation de la composition organique du capital, c’est-à-dire une part croissante de capital constant (machines, infrastructures) par rapport au capital variable (force de travail humaine), réduit la part de plus-value générée, puisque seule la main-d’œuvre vivante produit de la valeur nouvelle. 


Cette dynamique pousse les entreprises, de la petite TPE à la multinationale, à chercher des moyens de compenser cette baisse, souvent au détriment des travailleurs les plus vulnérables. Au départ l'élargissement à la famille du travailleur, puis au travailleur migrant considéré par un capitaliste nationaliste comme un clandestin.

Livre III - 1865




Le marché du travail se négocie au bénéfice de la bourgeoisie via l'automatisation, les contrats précaires et l'utilisation stratégique de l'immigration. Cela confirme la vision de Marx : le capitalisme exige une main-d'œuvre flexible, prête à être mobilisée ou licenciée selon les "caprices du marché". 

Ces pratiques maintiennent une réserve de travailleurs précaires, utilisés pour maximiser les profits tout en limitant les protections sociales. Cette exploitation se retrouve dans toutes les strates des capitalistes, de la plus petite à la plus grande entreprise.

Les TPE : une dépendance au travail vivant et à l’exploitation informelle


Les très petites entreprises dans les secteurs de la restauration, du BTP ou de l’agriculture saisonnière, dépendent fortement du travail vivant, car elles investissent peu dans les machines. Cependant, elles subissent une pression concurrentielle intense qui réduit leurs marges. Pour contrer la baisse tendancielle du taux de profit, elles se tournent souvent vers une main-d’œuvre migrante précaire, comme des travailleurs sans-papiers ou des saisonniers, payés en dessous des minima légaux ou "au noir".

Selon un rapport de l’INSEE 40 % des employés de l’hôtellerie et de la restauration sont étrangers et 50 % des cuisiniers. Sur l’ensemble de la France, ils représentent respectivement 19,3 % et 22 % de ces métiers, selon la Dares. Le journal Le Monde nous apprend que 700 000 travailleurs seraient en situation irrégulière. La situation créant même un trafic d'identité.



Les PME : entre mécanisation et précarisation


Les petites et moyennes entreprises, comme celles du textile, de la logistique ou de l’agroalimentaire, adoptent une stratégie différente. Elles investissent davantage dans des machines, ce qui augmente leur capital constant, mais elles restent dépendantes d’une main-d’œuvre nombreuse. Pour compenser la baisse de leurs profits, elles recourent à deux pratiques principales : la flexibilisation de l’emploi et la délocalisation partielle.

Les PME investissent dans des machines ce qui augmente leur capital constant, mais restent dépendantes d’une main-d’œuvre nombreuse. Les PME textiles investissent dans des machines à coudre automatisées (brodeuses numériques), mais la coupe, l’assemblage et la finition restent manuels. L’investissement dans des brodeuses numériques augmente le capital constant, réduisant la part du capital variable (main-d’œuvre) et contribuant à la baisse tendancielle du taux de profit. Les PME contrebalancent cela en maintenant une main-d’œuvre manuelle flexible pour les tâches non automatisées, réduisant ainsi les coûts salariaux.
Les abattoirs ou les conserveries utilisent des machines de tri (robots de découpe), mais dépendent d’ouvriers pour l’emballage et le contrôle qualité. Ces tâches nécessitent une main-d’œuvre humaine pour leur précision et leur flexibilité, surtout dans les PME car l’investissement dans des machines ultra-spécialisées est limité. Ainsi, le journal Le Parisien nous apprend qu'en 2013 les abattoirs Gad à Josselin employaient du personnel Roumain en faisant du dumping social.

L'automatisation des entrepôts de PME permet d’accroître la productivité et la sécurité, notamment grâce à l’usage de transstockeurs ou de chariots automatisés, mais la préparation des commandes est encore souvent réalisée manuellement, car elle demande une adaptation rapide aux variations de la demande. Une étude de Lucas Tranchant nous apprend que jusqu'à 70% des travailleurs sont sous statut d'intérimaire. Cette étude confirme que les employés intérimaires immigrés sont souvent déclassés par rapport à leurs collègues.

"L'intérim agit comme un vecteur de disqualification professionnelle"

Dans ces secteurs le travail humain reste donc important. Pour tenter de corriger la baisse tendancielle du taux de profit, les PME ont par conséquent deux recours : la flexibilisation de l'emploi via les contrats d'intérim ou les CDD proposés à une main-d’œuvre migrante.

Ou encore la délocalisation partielle via une sous-traitance à des ateliers qui exploitent une main-d’œuvre à bas coût. Si l'entreprise ne peut pas profiter de la migration humaine alors elle profitera de la migration des capitaux.


Les grandes entreprises : mécanisation et délocalisation


Les grandes entreprises, fortement mécanisées, ont une composition organique du capital élevée, avec des chaînes de production automatisées et une robotisation poussée. Cela réduit la part de travail vivant, et donc la production directe de plus-value.

Pour contrer la baisse tendancielle du taux de profit, elles adoptent deux stratégies principales :
- la délocalisation vers des pays à bas coûts : en transférant une partie de la production dans des pays où les salaires sont très bas, la valeur de la force de travail est réduite, ce qui permet d’augmenter la plus-value relative extraite.

- la sous-traitance : en externalisant certaines activités vers des sous-traitants souvent moins réglementés, les grandes entreprises peuvent se décharger des responsabilités sociales et salariales, tout en maintenant une pression forte sur les coûts.

Un exemple frappant est celui de VINCI, une entreprise française de construction, accusée d’exploiter des travailleurs immigrés sur les chantiers au Qatar pour la Coupe du monde de 2022. Ces travailleurs, selon un rapport d’Amnesty International, étaient soumis à des journées de 12 heures avec des salaires impayés et des conditions de vie indignes).


Il est à noter que le Qatar a appliqué la politique de remigration chère à Renaud Camus pour ces travailleurs exploités dont il a extrait la plus value. 

La surpopulation relative est une masse de travailleurs excédentaires, produits par l’accumulation capitaliste, qui ne sont pas immédiatement absorbés par le processus de production. Cette population "flottante" est maintenue dans une précarité structurelle, servant à discipliner la classe ouvrière en maintenant les salaires bas et en assurant une main-d’œuvre disponible pour le capital. Renaud Camus légitime donc un phénomène structurel du capitalisme en le reformulant dans un cadre identitaire et nationaliste.




Les grandes entreprises comme Levi’s, Zara ou H&M externalisent une grande partie de leur production textile au Bangladesh, où les usines emploient majoritairement des travailleurs (migrants des campagnes vers les villes) dans des conditions précaires. Malgré les scandales liés aux effondrements d’usines, ces marques continuent de profiter de la main-d’œuvre bon marché pour maximiser ses profits.

En 2005 l'entreprise Irish Ferries a tenté de remplacer ses employés irlandais par des travailleurs est-européens moins bien payés, ce qui a déclenché des manifestations massives de 100 000 travailleurs à Dublin. 



Les grandes entreprises profitent donc de la vulnérabilité des migrants pour maximiser leurs profits, leur installation dans un pays crée des déracinements entre pays, parfois même au sein du pays.

Les multinationales : une exploitation transnationale


Les multinationales, disposant d’un capital financier colossal, opèrent à une échelle transnationale et font face à des formes de concurrence variées : concurrence par les coûts, par l’innovation, ou encore par la formation de monopoles.

Grâce à leur dimension transnationale, elles disposent d’un pouvoir économique qui dépasse celui de nombreux États. En 2024, le chiffre d’affaires d’Apple (391 milliards de dollars) dépasse le PIB de pays comme la Colombie (363 milliards). Le chiffres d'affaire d'Amazon était de 637 milliards, soit plus que le PIB de la Belgique ou du Danemark. Les dépenses de lobbying des GAFAM atteignent 100 millions d'euros. C'est le premier groupe d'influence à Bruxelles.

Pour compenser la baisse tendancielle du taux de profit, elles adoptent des pratiques comme l’évasion fiscale, la compression salariale, ou la précarisation accrue des conditions de travail.

En Allemagne, Tesla emploie des travailleurs détachés polonais ou roumains dans son usine de Berlin, payés 30% de moins que les salariés allemands.


Une enquête du
Guardian en 2024 a révélé qu’Amazon UK sous-traite à des sociétés écrans qui exploitent des livreurs migrants espagnols, sous payés, en collaboration avec des réseaux mafieux.

Une autre enquête du Telegraph de mai 2025 montre comment les travailleurs illégaux sont embauchés par les plateformes de livraison. 


Le marché du travail évolue en un marché de traite humaine où les migrants deviennent un rouage du marché. Ce rouage s'actionne entre les plateformes de livraison et les gangs criminels.


En finançant l'hébergement des migrants exploités par les plateformes, le gouvernement anglais valide le circuit d'exploitation migratoire et illustre le concept de "privatisation des profits". C’est un subventionnement indirect du capital par l’État, dans un contexte de capitalisme néolibéral.

Le minimum de subsistance est encore réduit puisque ces travailleurs n'ont pas a payer leur hébergement, les plateformes de livraison n'ont donc pas à augmenter les salaires et tirent leur plus value de l'exploitation des travailleurs irréguliers. Le statut irrégulier ou précaire des migrants joue ici un rôle central : il permet leur exploitation en dehors des normes légales du salariat.


Les multinationales exercent également une pression sur les États pour obtenir des politiques migratoires favorables. Un exemple notable est l’initiative FWD.us, soutenue par Mark Zuckerberg et Bill Gates depuis 2013, qui milite pour l’élargissement des visas H-1B aux États-Unis afin de garantir un accès à une main-d’œuvre qualifiée à moindre coût . La logique capitaliste d'entreprises en quête de profit perpétuel pour leur survie, continue d'instrumentaliser les migrations en 2025.

C'est cette logique qui a conduit a une dispute interne entre les soutiens de Donald Trump, d'un côté la volonté Bannon de fermer les frontières et d'appliquer la remigration et de l'autre la tendance Musk dans la politique d'immigration choisie.

Une dynamique inhérente au capitalisme : le business de la migration


Nous l'avons vu, la baisse tendancielle du taux de profit est une conséquence inévitable du système concurrentiel propre au capitalisme. Elle pousse les entreprises à innover, mais aussi à exploiter toutes les opportunités possibles pour réduire leurs coûts, y compris par l’exploitation des travailleurs migrants.

Cette dynamique est exacerbée par les politiques migratoires restrictives qui, paradoxalement, favorisent l’émergence de réseaux d’exploitation. C'est ainsi que dès 2014 le GITSI soulignait dans son numéro 101 "le business de la migration" que le phénomène est devenu lui-même un marché pour tout une série d'entreprises : industries dans l'armement et l'aéronautique, sociétés d’assurance, sociétés de sécurité, prestataires privés pour la gestion des visas, constructeurs et des architectes de centres de rétention administrative, repas, blanchisserie, nettoyage, sociétés de transport, sociétés hôtelières, associations qui interviennent dans les centres de rétention administrative, cabinets d’avocats.

Aux États-Unis, cette tendance est particulièrement marquée dans le secteur des prisons privées pour étrangers. Deux groupes, GEO Group et CoreCivic, se partagent environ 70 % du marché des centres de détention pour migrants. Ces entreprises ont vu leurs actions grimper en flèche lors des annonces de politiques migratoires plus strictes, notamment sous l’administration Trump, qui a promis une politique d’expulsions massives. Ces sociétés ne se contentent pas d’exploiter les centres de détention : elles gèrent aussi le transport des personnes détenues et bénéficient d’un ensemble de contrats gouvernementaux liés à l’application des politiques migratoires. Elles sont ainsi devenues des acteurs majeurs, voire moteurs, de la politique migratoire américaine, avec des intérêts financiers directs dans l’augmentation du nombre de détenus.


En Italie également la privatisation est en cours avec l'externalisation du contrôle des migrations irrégulières vers l’Albanie, où l’Italie a construit des centres de rétention gérés selon le droit italien mais situés hors de l’Union européenne.

Ces centres, destinés à accueillir des migrants secourus en mer, sont censés traiter rapidement les demandes d’asile et faciliter les expulsions. Ce projet, qui a coûté environ 800 millions d’euros s’accompagne d’acteurs privés dans la construction, la gestion et les services liés à ces centres (logistique, sécurité, restauration, etc.), ce qui crée un marché autour de la migration, à l’image de ce qui est observé ailleurs en Europe et aux États-Unis.

La politique migratoire de Meloni s’inscrit donc dans une logique où l’État délègue une part importante de la gestion des migrants à des entités externes, qu’elles soient étrangères (Albanie) ou privées, générant des intérêts économiques autour de la rétention et de l’expulsion des migrants.

La privatisation des mécanismes de rétention et d’expulsion des migrants illégaux montre comment le capital s’approprie et instrumentalise les appareils répressifs de l’État pour maintenir la domination de la classe bourgeoise.

Le principe est le même en Australie où les immigrants ont été transférés à l'extérieur sur l'île de Manus avec une gestion de l'argent reçu des contribuables plus que discutable.


L’agence européenne Frontex collabore avec des sociétés privées pour organiser des expulsions forcées. Ces entreprises profitent financièrement de chaque expulsion, créant une incitation à en multiplier le nombre.

En 2019, Frontex a lancé un appel d’offres pour un contrat avec plusieurs sociétés pour la "location à court terme d’avions" destinés aux opérations d’expulsion d’urgence. Ce système fonctionne comme une sorte d’enchère où les entreprises soumissionnent pour chaque vol d’expulsion, ce qui montre un modèle économique basé sur la multiplication des expulsions.

En 2022, Frontex a organisé 414 opérations de retour, dont 151 via des vols charters privés, pour une expulsion de 25 000 personnes vers 24 pays. La plupart des expulsions sont effectuées par des compagnies aériennes commerciales (Lufthansa, Air France, etc.) sous pression des États, mais les vols groupés via charters sont souvent sous-traités à des sociétés spécialisées comme : European Homecare en Allemagne, Mama Air en Espagne, Jetstream Aviation à Malte et Schengen Aviation en Pologne.

Selon une analyse de Sarah Zellner, Frontex organise des vols charters pour les expulsions, dont le coût varie entre 200.000 € et 500.000 € selon la distance et le nombre de personnes expulsées. Le coût par personne est estimé entre 3.000 € et 15.000 €, en fonction des pays de destination et du nombre d’escortes policières présentes à bord.



Un rapport parlementaire de Jean-Noël Barrot et Alexandre Holroyd en 2019 estime le coût moyen d’une expulsion individuelle à environ 13.800 €. Les expulsions forcées, très majoritaires (entre 70 et 80 % des raccompagnements), coûtent plus de six fois plus cher qu’un retour aidé dans le pays d’origine. 



Les rapporteurs ne nient pas la justification des retours forcés ne serait-ce que pour les personnes sous OQTF qui présenteraient un danger physique immédiat pour leur entourage. Néanmoins  la méthode d'expulsion par dizaines fait que les pays de retour sont réticents à les accueillir d'un coup. Ils soulignent donc le besoin d'augmenter la méthode des retours aidés, moins coûteuse, plus efficace. 

Pour cela ils conseillent de diversifier les pays d'accueil au retour aidé notamment via des politiques de coopérations et de diplomatie efficaces. C'est à dire l'exact contraire de la politique coup de menton de Bruno Retailleau. 

Le business de l’expulsion devient donc une activité lucrative. L’exclusion n’est plus simplement une fonction d’ordre public, mais une marchandise dans une chaîne de valeur, impliquant plusieurs entreprises. Ce business intéresse des multinationales dont les propriétaires soutiennent et financent les politiques farouchement anti immigration.

Ainsi le journal The Guardian rapportait en 2020 que Palantir (propriété de Peter Thiel, un des financeurs de la campagne de Donald Trump)  a signé un contrat avec le UK Home Office pour fournir une plateforme d’analyse de données nommée "Border Flow Tool", qui rassemble des données sur le transit des marchandises et les douanes. Bien que non spécifiquement utilisé pour les migrants ce système est aussi utilisé pour la gestion de la migration humaine puisque le HMRC et le Home Office fonctionnent tous deux avec le BFT, ce que confirme le Financial Times. Ce contrat de 27 millions de livres qui s'incrivait dans la politique britannique de contrôle des frontières et de lutte contre l’immigration irrégulière a été arrêté en 2024 toujours selon le Financial Times.

Entre temps des journaux britanniques comme The Guardian ou la BBC dénonçaient l'inefficacité des mesures puisque malgré les mesures restrictives et les contrats signés avec une multinationale américaine, les traversées illégales se répartissaient comme suit : 

2020 : 8 466 traversées.
2021 : 28 526
2022 : 45 774  
2023 : 29 437 (accords bilatéraux signés avec l'Albanie et la France)
2024 : 36 816 traversées



De l'autre côté de l'Antlantique, le journal Business Insider nous apprend que l'administration Trump a renouvelé et approfondi également un contrat avec Palantir pour la gestion directe de l'immigration au travers du soft ImmigrationOs. Le Whasington Post révélait en 2019 que des employés se révoltaient déjà des techniques utilisées et du lien de Palantir avec l'ICE dont les méthodes étaient déjà dénoncées.

Le premier mandat de Trump nous a confirmé que les mesures restrictives pouvaient multiplier les retours à la frontière, mais qu'elles n'empêchaient pas les arrivées selon l'étude du Pew Research Center.


Malgré des résultats sur l'immigration qui ne correspondent pas aux objectifs fixés, le résultat financier des entreprises privées a augmenté sur cette période. Ainsi 
GEO Group a enregistré une augmentation de 28 % de revenus entre 2016 et 2019, tandis que CoreCivic observait +15% sur la même période. 

Ces profits se sont accompagnés de maltraitance conduisant à 31 morts en détention entre 2017 et 2019. Mais aussi de travail forcé puisque GEO Group a fait l'objet d'un procès en 2021 au motif de détenus obligés de travailler pour $1/jour Les centres de rétention permettent de tirer une plus-value absolue à partir d’un prolétariat carcéral sans droits, produisant dans un cadre hors norme du droit du travail.

La seconde administration Trump a pourtant signé de nouveaux contrats avec Geo Group. En février 2025,  l'entreprise a obtenu un contrat fixe de 15 ans avec ICE pour exploiter la prison Delaney Hall de 1 000 lits à Newark, New Jersey, estimé à environ 1 milliard de dollars sur la durée. En mars de la même année l'entreprise a renouvelé un contrat pour le centre de traitement Karnes au Texas, et a signé un accord pour rouvrir un centre de 1 800 lits à Baldwin, Michigan, avec des revenus annuels attendus supérieurs à 70 millions de dollars. 

L'inefficacité du système démontré dans la première mandature Trump, la sauvagerie mise à jour dans ces prisons avec des actes de maltraitance et de viols n'a pas suffit à arrêter le système. Le profit privé prévaut sur tout. Le capitalisme a besoin de l'immigration sur tous ses aspects. La privatisation de la répression est cohérente avec la financiarisation et la sous-traitance massive du secteur public depuis les années 80.

Conclusion : une contradiction insoluble ?


La baisse tendancielle du taux de profit agit comme un aiguillon qui stimule l’exploitation sous toutes ses formes, de la TPE aux multinationales. Elle met en lumière la contradiction fondamentale du capitalisme, entre la satisfaction des besoins humains et la logique de profit.

Tant que le système concurrentiel prédominera, les travailleurs migrants resteront une cible privilégiée pour compenser les pertes de profit, une réalité que l’extrême droite instrumentalise souvent en haïssant la conséquence (les migrants) tout en chérissant la cause (le capitalisme).

Pourtant, des solutions alternatives existent : là où la fermeture des frontières aggrave la précarité en poussant les sans-papiers vers une économie souterraine encore plus exploitante, la régularisation des travailleurs migrants permet au contraire de lutter contre le dumping social. En sécurisant leur statut, elle réduit leur vulnérabilité face aux abus patronaux, renforce les droits du travail pour tous et prive le capital d’une main-d’œuvre corvéable à merci.

Loin d’être un "appel d’air", cette mesure constitue un outil de régulation bien plus efficace que les murs et les barbelés, qui ne font que déplacer la crise tout en alimentant les réseaux criminels.

La notion d'appel d'air est un fétichisme juridique, où l’on fait comme si des textes juridiques ou des pratiques administratives avaient un pouvoir causal réel, alors qu’ils ne sont que la forme idéologique prise par des rapports de force matériels.

L’économiste Corrado Giulietti de l'Université de Southampton montre ainsi que la générosité de l’État-providence n’est pas un facteur clé de départ : le "welfare magnet" des bénéfices sociaux est faible ou inexistant.

Croire à l’appel d’air comme mobile qui pousse au départ de son pays d'origine, c’est fantasmer un migrant stratège, parfaitement informé du droit des étrangers, des procédures de recours, des circulaires préfectorales. Or, dans la réalité matérielle, ce sont des prolétaires déplacés par la misère, la guerre ou l’exploitation globale, souvent démunis, isolés et sans accès aux droits les plus élémentaires.

Le chercheur Smaïn Laarcher montre que les migrants n'apprennent l'existence de Sangatte que sur leur chemin avec les passeurs ou à leur arrivée en France. Ceci confirme la responsabilité des trafiquants de migrants dits "passeurs" qui font la promotion de telle ou telle destination comme l'affirme le "journal" d'extrême droite Frontières dans son enquête "sur la route des passeurs".


En 2019, la Juridiction nationale dédiée à la lutte contre la criminalité organisée (Junalco) a été instaurée afin de répondre au défi posé par la nature transnationale des réseaux criminels.
Selon M. Pascal Marconville, premier avocat général à la cour d’appel de Douai, les cerveaux de ces organisations n’entretiennent aucun lien avec la France, ils se manifestent brièvement et traversent les frontières avec aisance.


Une analyse partagée dans un rapport d'Europol. Les groupes de "passeurs" sont organisés de manière hiérarchique ou en réseaux horizontaux, connectés à des groupes criminels impliqués dans d'autres activités illégales. Ils fonctionnent comme des entreprises, adaptables, opportunistes et transnationales. Plus de 90 % des migrants irréguliers passent par des passeurs liés au crime organisé.

L'UNDOC précise que la plupart des réseaux de passeurs ont des liens avec des activités criminelles structurées, et fonctionnent indépendamment de la politique migratoire des pays de destination. La fermeture des frontières augmente la demande et donc leur profit. Ceci s'est confirmé notamment dans la première mandature de Trump la construction du mur a poussé les réseaux à adopter des traversées maritimes. Cette adaptation a non seulement maintenu la demande, mais l’a rendue plus lucrative, avec une hausse des revenus des cartels estimée à 30 %.



Il s'agit donc d'un mythe bourgeois qui projette une rationalité juridique sur des personnes jetées sur les routes par la logique du capital. Il transforme les victimes du désordre mondial en fraudeurs potentiels, pour mieux justifier leur exclusion tout en profitant du cadre édicté par les auteurs de ce désordre : les multinationales.


Eteindre le feu, réduire le désordre


Les premiers incendiaires : Les investissements des multinationales ont souvent un effet destructeur sur les structures économiques des pays en développement. Leurs profits, largement facilités par l’évasion fiscale, doivent être imposés là où la richesse est réellement produite, et non dans les paradis fiscaux.
Les traités de libre-échange, qui placent les flux de marchandises et de capitaux sous la domination des grandes entreprises, doivent être remplacés par des accords de coopération équitables. Ces accords doivent être portés par des institutions internationales profondément réformées et soumises au contrôle démocratique des peuples.
De nombreux pays marqués par une forte émigration disposent pourtant de vastes ressources naturelles comme le pétrole, le gaz, les minerais ou les forêts. Ces ressources sont surexploitées et commercialisées par des entreprises transnationales, avec la complicité d’États corrompus et parfois de réseaux criminels.
Dans des pays comme le Nigeria ou l’Algérie, riches en hydrocarbures, la multinationale italienne Eni exploite pétrole et gaz en partenariat avec des régimes autoritaires, sans que cela n'améliore réellement les conditions de vie des populations locales. Ce sont pourtant ces mêmes pays qui connaissent une émigration massive vers l’Europe, alimentée par la pauvreté, les inégalités et un sous-développement entretenu.

Ainsi, le Malabu scam est un scandale de corruption majeur dans lequel Eni et Shell ont versé 1,1 milliard de dollars pour acquérir un bloc pétrolier au Nigeria, tout en sachant qu’une grande partie de cette somme serait détournée par des responsables corrompus, dont l’ancien ministre du pétrole Dan Etete. L’argent, censé revenir à l’État nigérian, a en réalité enrichi des élites politiques via un système opaque de sociétés écrans et de comptes offshore. Georgia Meloni a pourtant continué de sécuriser des contrats gaziers tout en liant ces accords à la promesse de freiner l’immigration, sans remettre en cause les pratiques passées de captation de ressources.

Selon le rapport de Transparency International, la corruption dans le secteur pétrolier nigérian est endémique, caractérisée par des contrats opaques, des pratiques non réglementées et de vastes détournements de fonds publics. L'organisation Global Witness souligne que la surexploitation illégale des ressources naturelles, notamment des minerais, est largement orchestrée par des entreprises transnationales, souvent en collusion avec des groupes armés et des autorités locales corrompues. Ces dynamiques renforcent un système d'extraction, où les richesses produites alimentent les circuits du profit mondial tout en appauvrissant les populations locales.

L'espoir comme lance à incendie : Il s’agit de bâtir une véritable solidarité, à la fois nationale et internationale, pour permettre aux pays et régions les plus pauvres, dont les habitants sont poussés à l’exil, de se libérer de la dépendance envers les investisseurs publics ou privés. Ces territoires doivent pouvoir trouver en eux-mêmes les conditions d’un développement autonome, fondé sur les besoins réels des populations locales. Les financements évoqués plus haut ne doivent pas servir à garantir des marchés lucratifs pour les firmes internationales. Leur seule finalité doit être le renforcement d’une production nationale de biens et de services, au service des peuples. Car l’émiettement actuel de l’aide au développement, piloté par des logiques concurrentielles, constitue un facteur majeur d’échec. En exploitant de manière inégale les ressources et en entretenant la corruption des élites locales, les multinationales brisent tout espoir de stabilité et de construction d’un avenir sur place. Elles sont, bien souvent, la première étincelle de l’émigration.

Sous le gouvernement de Thomas Sankara, Bruno Jaffré nous apprend que l’émigration depuis le Burkina Faso a connu un net recul. Grâce à une politique de souveraineté alimentaire, de réforme agraire et de développement local, de nombreux Burkinabés ont pu vivre dignement de leur travail sans avoir à quitter leur pays. Sankara soulignait que quitter son pays pour aller vivre ailleurs revenait à abandonner ses responsabilités, et il exhortait les migrants à revenir construire leur patrie, en insistant sur le fait que "dormir sur la natte d’autrui, c’est dormir à terre". En misant sur l’autonomie économique plutôt que sur l’endettement et la dépendance extérieure, Sankara a montré qu’un autre modèle, sans exil forcé, était possible.

Tarir le flux illégal : Comme nous l’avons déjà observé plus haut, les politiques restrictives ne parviennent pas à démanteler les réseaux de trafiquants ; au contraire, elles les renforcent en accroissant leurs profits via la loi de l'offre et de la demande. Il est donc essentiel de développer une autre stratégie visant à faire disparaître le marché lucratif du trafic humain.




Coupons les bras : la création de voies légales et sécurisées permet aux personnes en quête d’opportunités ou de protection de migrer de manière fiable et encadrée, réduisant ainsi leur recours aux réseaux clandestins. En garantissant un accès contrôlé et transparent, ces dispositifs limitent les occasions pour les mafias d’exploiter la vulnérabilité des migrants par la fraude, la violence ou l’exploitation. En supprimant la demande pour les services illégaux, l’instauration de corridors migratoires sûrs affaiblit directement les activités des passeurs et des réseaux criminels qui prospèrent sur les routes irrégulières.

Coupons la tête : une forte régulation des flux financiers internationaux est essentielle pour démanteler les réseaux de blanchiment d’argent exploités par les mafias. Ce qui signifie donc la suppression des paradis fiscaux, souvent localisés dans des zones sous influence occidentale comme les îles Caïmans ou le Luxembourg.

Le libre flux comme voie de retour : Le phénomène migratoire via l’implantation des multinationales provoque une double captation de la survaleur : d’une part, les ressources naturelles sont extraites au profit du capital étranger ; d’autre part, l’émigration de travailleurs qualifiés prive leur pays d’origine de capacités productives essentielles. Paradoxalement, ces mêmes travailleurs deviennent dans le pays d’accueil une main-d’œuvre surexploitée dans des secteurs à faible valorisation. Face à cela, garantir le droit de rester comme le droit de partir devient une urgence politique et morale. La liberté de circulation, inscrite dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, n’est complète que si elle inclut aussi la liberté de ne pas être forcé de partir, et la possibilité de revenir dans des conditions dignes. Ce cadre ne peut exister que dans une rupture avec la logique d’exploitation concurrentielle, pour reconstruire l’intérêt commun des peuples sur une base de coopération et de justice.

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